Malak Jân a mené une vie empreinte de simplicité, utilisant ses modestes ressources pour améliorer le sort de ses semblables, notamment celui des habitants de son village natal.

Elle employait ainsi l’essentiel du modeste revenu provenant de ses terres, héritées de son père, pour venir en aide aux habitants de son village, et elle conviait même certains villageois à partager sa table au quotidien. Cette générosité ne se doublait pas, chez elle, d’une volonté d’imposer aux autres ses propres convictions ou valeurs. Bien que très exigeante envers elle-même, elle était très patiente et tolérante avec les autres, éveillant en chacun le désir de progresser, sans ne jamais rien brusquer. Tout au long de sa vie, elle a œuvré sans relâche pour les droits des femmes et des enfants, et pour promouvoir des valeurs éthiques. Avec le temps, sa sagesse et son dévouement aux autres l’ont fait connaître au-delà de son village, au point que l’on venait parfois de loin pour prendre conseil et partager la grâce qui émanait d’elle. 

Curieuse du monde et de l’actualité, sensible aux préoccupations de son temps, Malak Jân respirait la joie de vivre et avait un humour subtil. Bien qu’aveugle et vivant dans un milieu où les femmes étaient traditionnellement déconsidérées, son courage et son charisme imposaient le respect et lui conféraient une aura égale, si ce n’est supérieure, à celle de grands hommes spirituels. 

Par nature, elle n’aimait pas l’oisiveté. Indépendante et autonome malgré sa cécité, elle gérait elle-même les moindres détails de sa vie quotidienne, refusant l’aide de son entourage. C’est même elle qui enseignait la couture, le tricot ou la cuisine aux villageoises. Bien que célibataire et sans enfants, elle connaissait si bien la nature humaine que c’est encore elle qui conseillait autrui dans ce domaine. Elle avait mis au point un système d’écriture en relief dont elle usait pour noter ses dépenses ménagères, tenir à jour les comptes de ses revenus agricoles, ou inscrire d’autres détails de sa vie.

Malak Jân ne voulait être un fardeau pour personne. Malgré les nombreuses sollicitations, elle s’occupait elle-même de ses tâches ménagères, et s’il lui arrivait d’en confier une à autrui, elle rémunérait toujours cette personne. Elle ne voulait en aucun cas être redevable ou profiter de qui que ce soit. Cette intransigeance sur le respect du droit d’autrui exigeait d’elle une volonté et une discipline de fer dans les moindres aspects de sa vie, tant sur le plan matériel que spirituel, pour des considérations individuelles que collectives, au niveau du corps que de l’esprit. Elle était un exemple vivant de l’adage « ni excès, ni défaut ».

Malak Jân fut aussi une musicienne talentueuse. Elle jouait du tanbûr et du setâr avec un touché délicat et distinct. Dans sa jeunesse, elle avait composé de nombreux poèmes décrivant les défis et vicissitudes du parcours spirituel. Aujourd’hui encore, ces poèmes sont parfois récités en guise de prière, individuelle ou collective, par des étudiants de la voie spirituelle. Assoiffée de connaissance, elle aimait étudier l’histoire, la géographie, le droit, la biologie, la psychologie, et la littérature, en particulier la poésie de Rûmi et de Hâfez. Dans la lignée de son père et de son frère, elle n’a jamais montré d’intérêt pour la politique, tout en restant au fait de l’actualité.

Suivant les instructions d’Ostad Elahi, elle a organisé dans les années 1960 des cours informels dont le but était de guider les femmes et d’initier chacun à l’éthique et à la spiritualité. Elle a montré comment l’on pouvait pratiquer, au quotidien, une spiritualité naturelle fondée sur la raison et la compréhension. Dans chaque défi de la vie, elle voyait un examen utile au développement de l’âme et elle encourageait son entourage à ne pas fuir ces précieux défis.  Elle disait souvent : « C’est dans la lutte que l’âme progresse, non dans l’indolence. Lorsque l’on aime son but, il faut accepter de lutter », ce qu’elle n’a elle-même cessé de faire à chaque instant. 

Elle se considérait avant tout comme une élève d’Ostad, suivant l’éthique de travail d’un élève assidu tout au long de sa vie. Elle n’hésitait pas à raconter ses leçons et expériences spirituelles, même les plus déconcertantes, de manière à renseigner les étudiants sur les hauts et les bas du parcours spirituel. Ostad dira d’elle en juin 1964 : « Ma sœur Jâni Jân (…) est au seuil de la Perfection. » Plus tard, il remarquera : « Jâni et moi ne faisons qu’un, corps et âme. » Cette parole a pris tout son sens lorsque Sheykh Jâni a assumé la responsabilité de la voie d’Ostad après le départ de ce dernier.

Les classes dont Ostad Elahi avait confié la responsabilité à Sheykh Jâni se sont poursuivies après le décès de cette dernière. Les habitants de son village natal, qui ont surnommé leur village « le village des philosophes » du fait des nombreuses personnalités spirituelles y ayant résidé, discutent encore régulièrement de sujets abordés par Sheykh Jâni, tels la nature de nos droits et de nos responsabilités, les subtilités de la justice divine, les rôles du libre-arbitre et du déterminisme, ou encore l’acquisition des vertus.

Malak Jân a étudié et pratiqué les enseignements éthiques et spirituels d’Ostad dans un cadre pourtant peu propice à la modernité et à la réception de tels enseignements, le tout en restant altruiste et pleine de compassion. Ce fut là son génie, et peut-être le plus grand miracle qu’elle ait réalisé.